Ernst Křenek

Le 22 mai 1938, à l’occasion du 125e anniversaire de la naissance de Richard Wagner, les Journées musicales du Reich (Reichsmusiktage) sont inaugurées à Düsseldorf. L’objectif pour le ministère de la Propagande de Joseph Goebbels, à l’origine de l’événement, est de montrer aux Allemands et à la communauté internationale que la vie musicale allemande est très riche. Des nouvelles pièces, composées par des musiciens « aryens », sont données. Au programme figurent également de nombreuses œuvres de compositeurs germaniques (allemands et autrichiens) de la grande tradition, de Wolfgang Amadeus Mozart à Anton Bruckner, en passant par Wagner.

En contrepoint à cet événement, s’ouvre l’exposition Entartete Musik, organisée par Hans Severus Ziegler, et à l’initiative d’Alfred Rosenberg. Sur le catalogue de l’exposition, un dessin de Ludwig Tersch représente un musicien noir jouant du saxophone. Ce personnage est en fait inspiré par Jonny, le héros de l’opéra Jonny spielt auf du compositeur Ernst Křenek.

Ernst Křenek naît à Vienne en 1900. Il étudie la musique à Vienne avec Franz Schreker, puis à Berlin et à Paris. En véritable enfant de son temps, Křenek se situe progressivement dans les courants modernistes de la République de Weimar et côtoie de nombreux musiciens. En 1927, son opéra Jonny spielt auf  (Jonny mène la danse), inspiré du jazz, est un triomphe. L’œuvre est donnée sur de nombreuses scènes à travers le pays et dans le monde entier. À 27 ans, le compositeur connaît alors une certaine aisance financière.

Il découvre ensuite le système de composition à 12 sons (dodécaphonisme) d’Arnold Schönberg et s’en inspire. Il se marie brièvement avec la fille de Gustav Mahler.  Bien que Křenek ne soit pas engagé politiquement et qu’il soit un catholique pratiquant, la modernité de son langage et sa proximité avec des compositeurs juifs lui valent des attaques des nazis avant leur accession au pouvoir. Il est désigné comme un « bolchevique culturel » par les partisans de Rosenberg. Entre 1931 et 1933, sur une commande de l’opéra de Vienne, Křenek compose un opéra entièrement dodécaphonique, Karl V (Charles Quint). Mais la création de l’œuvre, prévue en 1934, est finalement annulée à cause de menaces exercées par des partisans nazis autrichiens. En 1937, Křenek effectue son premier voyage aux États-Unis. L’année suivante, face à l’avancée du nazisme en Autriche, il s’y installe définitivement.

Les premiers temps aux États-Unis sont difficiles. Ses premiers concerts ne rencontrent pas de succès. En 1942, il subit l’humiliation d’un licenciement de son poste de professeur lorsque des collègues l’accusent de tendances communistes. Il trouve ensuite un poste mieux adapté à ses ambitions : chef du Département de musique de l’Université Hamline de St. Paul, dans le Minnesota. Les conditions de travail lui conviennent et il parvient également à faire jouer sa musique par l’orchestre symphonique de Minneapolis, notamment sa Symphonie n°2 (opus 12) et son troisième Concerto pour piano. En 1945, il obtient la nationalité américaine et change alors l’orthographe de son nom en « Krenek ». Il s’établit à Palm Springs en Californie à partir de 1947. Il compose énormément : symphonies, concertos, opéras…

Křenek ne retournera pas vivre en Europe, mais il s’intéresse aux évolutions musicales en Allemagne. Suite à son passage au Studio de Cologne en 1955, il s’essaye à la musique électronique avec les œuvres Spiritus Intelligentiae, Sanctus pour deux voix et bande son enregistrée (1956), Orga-Nastro pour orgue et bande son enregistrée (1971), et They knew what they wanted, pour  narrateur, hautbois, piano, percussion et bande son enregistrée (1977).

En 1989, deux ans avant sa mort, il signe sa 242ème et dernière œuvre, la Suite pour guitare et mandoline. Il décède en Californie à l’âge de 91 ans.

Sources

Huynh, Pascal, La musique sous la République de Weimar, Paris, Fayard, 1998.

Kater, Michael, The Twisted Muse: Musicians and their Music in the Third Reich, Oxford, Oxford University Press,1997.  

Perle, George, « Krenek », The Musical Quarterly, 77(1), printemps 1993, p. 145-153.

Petit, Élise, Giner, Bruno, “Entartete Musik”. Musiques interdites sous le IIIe Reich, Paris, Bleu Nuit, 2015.

Prieberg, Fred, Musik im NS-Staat, Frankfurt/M, Fischer, 1982.