Des Hymnes pour la France
Presque tous les régimes politiques ont eu des hymnes devant symboliser leurs valeurs et leurs aspirations. Par conséquent, les changements de régime ont fréquemment occasionné des changements de chants, par exemple lorsqu’en 1830 « La Parisienne » devint l’emblème de la monarchie de juillet en France. L’établissement du régime de Vichy en 1940 ne fit pas exception : s’il n’y eut pas d’hymne dans la partie nord du pays, occupée par les nazis, deux furent adoptés dans le sud collaborationniste.
Le premier de ces hymnes fut « La Marseillaise ». Originellement dénommée « Chant de Guerre pour l’Armée du Rhin », elle fut composée par Rouget de Lisle, officier de l’armée française ayant participé à la Révolution ; elle devint le premier hymne national de la France en 1795. Avec l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, « La Marseillaise » fut interdite dans le nord de la France mais persista dans le sud vichyste sous une forme modifiée. Le chef de l’État Philippe Pétain sélectionna les couplets qui s’adaptaient à sa nouvelle idéologie politique « Travail, Famille, Patrie » : le premier (« Allons enfants de la Patrie… ») et le sixième (« Amour sacré de la Patrie… »). L’hymne était joué lorsque Pétain délivrait des discours ou lorsqu’il faisait son entrée dans une ville. Malgré des tentatives d’utilisation du chant pour unifier la population pour soutenir le régime de Pétain, certains craignaient que l’hymne ait perdu de son pouvoir en tant que symbole de la France. En 1941, le chef du gouvernement François Darlan demande une loi qui oblige les citoyens à porter respect à des symboles tels que l’hymne ou le drapeau. Ceci coïncide avec une politique publique d’encouragement du chant pour nourrir le sentiment de communauté, avec des affiches de Chantiers de jeunesse ayant pour slogan « Chanter, c’est s’unir ». Darlan insiste également pour qu’en cas d’absence de l’un des membres du gouvernement à une cérémonie, « La Marseillaise » ne puisse pas être entonnée sans autorisation. Les peines pouvaient aller jusqu’à l’emprisonnement. Ce règlement donna au régime le monopole de l’usage du chant et permit également de torpiller les efforts de la Résistance pour s’approprier cet hymne comme symbole d’un héritage français perdu. Il arriva que des cafés-concerts de Paris insèrent des extraits de « La Marseillaise » dans leurs pots-pourris et la jouent devant les Allemands malgré l’interdiction, en signe de défiance.
Le second hymne du régime de Vichy fut le célèbre « Maréchal, nous voilà ! », une composition originale de 1941 qui dut son succès à ses interprètes. Parmi eux se trouvaient des chanteurs célèbres tels qu’Andrex et André Dassary (qui avait été retenu prisonnier en Allemagne durant la première partie de la guerre avant d’être finalement libéré), mais aussi l’orchestre de Ray Ventura, une légende française du jazz. Pour s’assurer son acceptation par la population, il fut enseigné aux enfants à l’école et entonné lors des principaux événements sportifs et représentations publiques. Même s’il n’a jamais été utilisé dans des programmes ou des situations officiels, ce chant est resté dans les mémoires comme l’hymne officiel du régime de Vichy, pour minimiser le rôle joué par « La Marseillaise » : l’association de celle-ci avec une période aussi sombre n’aurait pu que menacer son statut en tant qu’emblème de la France.
Ironie du sort : bien que « Maréchal, nous voilà ! » ait supposément été composé par deux Français, André Montagard et Charles Courtiouz, sa musique était en fait reprise de la chanson du film La Margoton du bataillon. Celle-ci fut composée par Casimir Oberfeld, un Polonais déporté de Paris à Auschwitz en 1943, qui périra lors des « marches de la mort » de 1945. En d’autres termes, le régime par lequel la chanson d’Oberfeld fut utilisée collabora avec celui qui causa sa mort. Comme cela se faisait régulièrement à l’époque, l’hymne fut détourné par des mouvements de résistance. Julien Clément, directeur de la musique au sein des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), mises en places dans les dernières années de guerre, changea les paroles pour « Général, nous voilà ! », en référence au Général de Gaulle, chef des Forces françaises libres. Parmi ses autres activités de résistance musicale, Clément publia une ode à Pétain, dans un acrostiche qui donnait « Merde pour Hitler ». N’ayant pas vu la phrase cachée, Radio Vichy diffusa la chanson dans l’un de ses programmes.
Par Daisy Fancourt
Une Flamme Sacrée
monte Du Sol Natal
et La France Enivrée
te Salue Maréchal !
tous Tes Enfants Qui T'aiment
et Vénèrent Tes Ans
a Ton Appel Suprême
ont Répondu "présent"
{Refrain:}
maréchal Nous Voilà !
devant Toi, Le Sauveur De La France
nous Jurons, Nous, Tes Gars
de Servir Et De Suivre Tes Pas
maréchal Nous Voilà !
tu Nous As Redonné L'espérance
la Patrie Renaîtra !
maréchal, Maréchal, Nous Voilà !
tu As Lutté Sans Cesse
pour Le Salut Commun
on Parle Avec Tendresse
du Héros De Verdun
en Nous Donnant Ta Vie
ton Génie Et Ta Foi
tu Sauves La Patrie
une Seconde Fois :
{Au Refrain}
quand Ta Voix Nous Répète
afin De Nous Unir :
"français Levons La Tête,
regardons L'avenir !"
nous, Brandissant La Toile
du Drapeau Immortel,
dans L'or De Tes Étoiles,
nous Voyons Luire Un Ciel :
{Au Refrain}
la Guerre Est Inhumaine
quel Triste Épouvantail !
n'écoutons Plus La Haine
exaltons Le Travail
et Gardons Confiance
dans Un Nouveau Destin
car Pétain, C'est La France,
la France, C'est Pétain !
{Au Refrain}
A sacred flame
Rises from our native soil
And enraptured France
Salutes you, Marshal
All your children who love you
And revere your years
Have answered your supreme call
By saying 'We're here.'
Marshal, here we are!
Before you,
The saviour of France.
We swear this,
We, your boys,
To serve you and follow your footsteps.
The nation will be reborn
Marshal, Marshal, here we are!
You have given us back the hope
That the country will be reborn
Marshal, here we are!
When your voice repeats to us
In order to unite us
'People of France, raise your heads
and let us look to the future!'
We, brandishing folds
of the immortal flag
In the gold of your stars
We see the heavens shining
War is inhuman
What a sad spectre
Let us hear no more hatred
Let us exalt in work
and remain confident
In a new destiny
Because Pétain is France
France is Pétain!
Sources
Chimènes, Myriam (dir.), La vie musicale sous Vichy, Bruxelles, Complexe, 2001.
Chimènes, Myriam et Simon, Yannick, La Musique à Paris sous l’Occupation, Paris, Fayard/Cité de la Musique, 2013.
Simon, Yannick, Composer sous Vichy, Paris, Symétrie, 2009.