Les Six
Les activités d'un groupe particulier de compositeurs français pendant la Seconde Guerre mondiale sont devenues un sujet de discussion populaire ces dernières années. Le groupe "Les Six" s'est constitué dans les années 1920, après avoir connu la gloire sous la direction de Jean Cocteau. Le groupe était composé des compositeurs François Poulenc, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Georges Auric et Germaine Tailleferre. Peu après la Première Guerre mondiale, Milhaud a écrit dans ses Notes sans musique : "Je sais que Poulenc, Durey, Auric et Desormiere étaient tous actifs dans la Résistance". Cette citation a suscité l'enthousiasme des musiciens français qui souhaitent faire des Six des icônes de la composition française. En fait, leur engagement dans les mouvements de Résistance a été extrêmement varié et même, parfois, douteux.
Germaine Tailleferre et Darius Milhaud
Deux des membres des Six ont échappé à la guerre en émigrant, et n'ont donc pas été impliqués dans des activités de résistance. Peu après l'invasion nazie, Tailleferre a abandonné sa maison en France et s'est enfuie à travers l'Espagne jusqu'au Portugal. De là, elle a pris un bateau pour les États-Unis, où elle a vécu à Philadelphie jusqu'à ce qu'elle puisse retourner dans la France libérée en 1946. Milhaud s'est également enfui avec sa famille en Amérique en 1939, et n'est revenu qu'après la libération.
Louis Durey et Georges Auric
Deux autres membres des Six ont adopté une position de silence compositionnel presque total pendant l'Occupation, pour montrer leur refus de coopérer avec le contrôle nazi sur la France. Durey a refusé de composer quoi que ce soit de nouveau pendant que les Allemands étaient au pouvoir, se tournant plutôt vers la collecte et l'arrangement de chansons. Il s'agit d'une activité importante de la Résistance, car les chansons qu'il choisit de collecter sont de vieilles chansons folkloriques françaises qui décrivent la vie en France avant la guerre, et de la musique profane de la Renaissance, comme celle de Clément Janequin, qui avait été interdite par les nazis en raison de son caractère "païen". Durey a également rejoint l'organisation de la Résistance française Front National des Musiciens et en est devenu un membre éminent, travaillant à cacher les Juifs et à préserver la musique française interdite.
Comme Durey, Auric désapprouve idéologiquement la composition sous le régime nazi. Au début de la Première Guerre mondiale, il avait cité Debussy : "Je n'ai jamais voulu que ma musique soit jouée avant que le sort de la France ne soit décidé, car la France ne peut ni sourire ni pleurer pendant que tant d'entre nous courent à la ruine". En octobre 1944, juste après la libération, Auric se fait l'écho de ce sentiment : "Être héroïque, alors que l'on est paisiblement à l'abri des balles, me paraît ridicule". Malgré cela, Auric écrit une composition puissante, "Quatre chants de la France malheureuse", qui reprend des poèmes de résistants tels qu'Eluard et Aragon. Il l'a également nommée d'après les "Poèmes de la France malheureuse" du poète français Jules Supervielle, un ouvrage de résistance publié à l'étranger et distribué clandestinement en France.
Cependant, la contribution la plus importante d'Auric à la Résistance est de loin ses articles clandestins. Plusieurs d'entre eux ont été rédigés pour le journal Les musiciens d'aujourd'hui et traitaient des craintes concernant l'avenir de la musique française sous la domination culturelle allemande. Dans l'un d'entre eux, datant de 1943, Auric s'insurge contre le concept de musique universelle, écrivant que celle-ci reviendrait simplement à la musique allemande. Il écrit : "si la musique n'a pas de pays, les musiciens en ont un", avertissant les compositeurs de ne pas mettre "nos orchestres et nos chefs d'orchestre, nos virtuoses, nos chanteurs, au service des œuvres monumentales de l'école allemande". Il se plaint que les nazis aient imposé leur propre musique sous "le prétexte de masquer la prétendue insuffisance de la culture musicale française".
Auric a également adopté une position ferme à l'égard du compositeur français emblématique Claude Debussy. Au début de la guerre, Vichy a fait l'éloge de Debussy en le présentant comme un symbole culturel national qui démontrait la force de la culture française. Son influence wagnérienne était mise en avant pour montrer la compatibilité des cultures allemande et française. Cependant, à mesure que la politique de Vichy se rapprochait des idéaux nazis, les membres de la Résistance se sont réapproprié Debussy à leurs propres fins. Ils affirment que Debussy n'a pas du tout été influencé par Wagner et, en juin 1942, il est salué comme "Debussy le libérateur". Auric poursuivit dans cette veine résistante dans ses propres articles sur Debussy. Il loue Debussy pour avoir refusé d'écrire parce qu'on le lui demandait pendant la Première Guerre mondiale, pour avoir gardé le silence pendant un an et n'avoir composé que lorsqu'il en ressentait le besoin. Selon Auric, cela fait de lui un véritable combattant de la pensée et de l'art français, car il n'a pas essayé de mobiliser la musique à des fins politiques ("Debussy ne mobilise pas la musique"). Auric condamne également le critique musical André Coeuroy, qui a traduit l'œuvre de l'érudit allemand Heinrich Stroebel au lieu d'écrire sa propre histoire de Debussy. Sous la plume de Stroebel, la vie et l'œuvre de Debussy ont été biaisées dans le sens de la propagande allemande. Pire encore, Coeuroy a délibérément mal traduit certains commentaires de Debussy pour qu'ils correspondent davantage au message allemand. Auric a qualifié Coeuroy de "parfait exemple de "conscience professionnelle" chez un collaborateur qui avait perdu toute autre conscience".
François Poulenc
Poulenc est peut-être le membre des Six dont la musique témoigne du plus grand acte de résistance. Il a été noté que presque toutes les œuvres de Poulenc de 1938-44 se rapportent directement à l'expérience de la guerre d'une manière ou d'une autre. Après la crise de Munich en 1938, Poulenc écrit "Priez pour paix" sur des poèmes de Charles d'Orléans évoquant l'intercession de la Vierge pour instaurer la paix. Plus tard dans l'année, il écrit "Quatre motets pour un temps de pénitence", anticipant les horreurs de la guerre qui allait suivre, et en 1939, "Bleuet", qui est une mise en musique d'un poème de Guillaume Apollinaire sur la Première Guerre mondiale. Apollinaire a écrit son texte après avoir été blessé à la tête en combattant sur le front, déplorant la perte de la paix et de l'innocence. La chanson est caractérisée par la mort, y compris le vers "Vous connaissez la mort mieux que la vie", soulignant les craintes de Poulenc face à la menace de la guerre. À partir de 1939, Poulenc hésite à se lancer dans de nouvelles compositions au cas où il serait appelé à la guerre, mais lorsqu'il est envoyé au combat en juin 1940, la France est déjà tombée. Après l'occupation de la France, Poulenc ne s'est pas lié d'amitié avec les nazis, comme l'ont fait nombre de ses collègues, dont Jean Cocteau. En effet, il s'inquiète d'abord de retourner dans un Paris occupé par les Allemands et déplore la perte de musiciens juifs, écrivant en octobre 1943 à un ami : "sans être philosémite, je dois dire que le levain juif est indispensable pour faire monter la pâte à tarte dans les salles de concert". Poulenc lui-même n'était pas complètement à l'abri des persécutions nazies, car il était ouvertement homosexuel. Son compagnon de l'époque, Raymond Destouches, n'a échappé que de justesse à l'arrestation et à la déportation. Poulenc réussit néanmoins à s'en sortir indemne.
Poulenc a sans aucun doute posé des actes de résistance délibérés. En plus d'être membre de l'organisation de résistance le Front National des Musiciens (le front national des musiciens), Poulenc a caché des mélodies et des textes subversifs dans ses compositions du temps de la guerre. Son ballet Les Animaux modèles inclut une section d'une chanson alsacienne "Non, non, vous n'aurez pas notre Alsace-Lorraine", en référence à l'annexion de cette région par l'Allemagne entre 1871 et 1918. Cette chanson est devenue populaire en tant que chant de résistance en 1940, lorsque les Allemands ont repris la région. Le ballet a été créé en présence de plusieurs officiers allemands à Paris en 1942, sous la direction de Roger Desormière, un autre résistant ; la référence semble être passée inaperçue. La même année, Poulenc compose ses Chansons villageoises, dont la chanson "Le Mendiant", inspirée des Chants et danses de la mort de Moussorgski. Cette insistance sur la mort rappelle sa chanson précédente "Bleuet" et s'élève contre "la race damnée qui n'éprouve aucune pitié", avertissant que "le ver se retournera". L'œuvre a été jouée en public pendant l'Occupation, mais Poulenc a une fois de plus évité d'être puni.
Les œuvres de résistance les plus importantes de Poulenc sont celles qui mettent en scène les œuvres des poètes de la résistance française. L'un des poètes vers lesquels Poulenc s'est tourné est Louis Aragon, lui-même membre de la Résistance et connu sous le nom de François la Colère. Aragon vivait près des résistants du Maquis dans les montagnes près de Lyon et écrivait des vers simples qui pouvaient être mis en musique et contribuer à inspirer le courage au peuple français. Poulenc choisit de mettre en musique ses "Fêtes galantes", qui décrivent avec désinvolture la vie dans le Paris occupé, et "C", du nom du champ de bataille populaire de Ce, près de Tours, qui désigne l'enchaînement des ponts sur la Loire que les Français, vaincus et démembrés, ont dû franchir lors de l'exode de 1940. Il les intitule même "Deux poèmes de Louis d'Aragon", ne cherchant pas à cacher l'illégalité de ses compositions. Poulenc a également mis en musique les œuvres du poète communiste Paul Eluard. Pendant la guerre, Eluard a écrit un certain nombre de poèmes sur la Résistance qui ont été passés en contrebande à Londres et diffusés par la BBC sur Radio Londres ; des centaines de milliers d'exemplaires ont également été largués par les parachutistes de la RAF dans la France occupée. Suite à cette activité, Eluard et sa femme doivent se cacher en 1942 et se réfugient dans un asile d'aliénés dans les montagnes de Lozère. Un médecin ami les déclare fous incurables et ils peuvent poursuivre leurs activités de résistance sous le pseudonyme d'Eluard, Jean du Haut. En 1942, Poulenc reçoit un exemplaire de "Liberté" d'Eluard, qui passe de main en main dans un réseau d'amis. Il décide de l'encoder dans le final de sa cantate Figure Humaine. Poulenc en parle comme d'une "œuvre secrète... préparée clandestinement pour la Résistance". En raison de sa nature ouvertement politique, l'œuvre ne fut créée qu'en janvier 1945 à Londres. Poulenc a été transporté par un avion militaire spécial pour assister aux dernières répétitions. Il aurait joué l'œuvre pour lui-même à son piano tous les jours avant la libération et, lorsque Paris fut enfin libéré, il plaça le manuscrit à la fenêtre de son appartement en signe de résistance.
Cependant, plusieurs lettres et même œuvres de Poulenc ont mis à mal son statut de résistant. Dans une lettre du 10 juillet 1940, le jour où Vichy vote la fin de la Troisième République française, Poulenc écrit à son ami : "En un mot, je suis heureux", montrant un curieux sentiment d'allégresse face à la défaite. Le mois suivant, il écrit à plusieurs amis pour exprimer sa gratitude envers "ce cher Maréchal" qui l'a sauvé. Cette réaction n'est pas inhabituelle, car nombreux sont ceux qui espèrent que Pétain parviendra à sauver la France et ses citoyens. Cependant, d'autres actes ont encore miné les efforts de Poulenc en matière de résistance. Ses Chansons villageoises ont été considérées comme une version musicale du retour de Vichy à la vie traditionnelle sous la devise "Travail, Famille, Patrie". De même, en mai 1944, alors que la guerre approche de son apogée, Poulenc se lance dans un opéra-comique intitulé "Les Mamelles de Tirésias", qui a reçu un accueil plutôt ambivalent, étant considéré à la fois comme une œuvre pro-Vichy et comme une déclaration de la Résistance. Elle proclame la nécessité de produire plus d'enfants, ce qui va dans le sens des idées du Maréchal Pétain, qui avait fameusement attribué la défaite de 1940 à trop peu d'enfants. Les implications sont ambiguës : si le ton de Poulenc était sérieux, il semble en effet que l'œuvre affiche des sympathies pro-Vichy. Si son ton était moqueur, l'œuvre l'éloigne plutôt du régime de Pétain.
Cette question a été rendue encore plus obscure par les mensonges que Poulenc a racontés après la guerre pour s'assurer qu'il ne serait pas arrêté. Il a prétendu que tous les concerts de guerre auxquels il participait avec le chanteur Pierre Bernac ne comportaient que de la musique française, alors que nous avons la preuve qu'il a inclus de nombreux compositeurs allemands comme Schumann. Poulenc a également déclaré après la guerre que Figure Humaine avait été jouée à Londres en janvier 1945, ce qui en aurait fait une activité active de la Résistance pendant les dernières phases de la guerre. En fait, elle n'a été jouée qu'en mars, après la fin de la guerre. Il s'agit là de petits détails, mais le fait que Poulenc ait ressenti le besoin de mentir suggère qu'il était préoccupé par son comportement en temps de guerre. Quel que soit le point de vue que l'on adopte sur Poulenc - héros de la Résistance ou simple compositeur égocentrique qui écrivait ce qui l'inspirait le plus, sans trop se soucier des implications politiques - Poulenc n'était pas antisémite. Il poursuivit sa correspondance avec Darius Milhaud pendant la guerre et, après la libération, publia des articles faisant l'éloge des œuvres de Milhaud et organisa des concerts en son honneur pour tenter de faciliter son retour en France.
Arthur Honegger
Arthur Honegger a souvent été considéré comme le maillon faible de la chaîne des activités de résistance parmi "Les Six". Honegger a été traité avec suspicion pendant et immédiatement après la guerre, et compte tenu de ses relations avec les nazis, il est assez remarquable qu'il se soit échappé sans être jugé. Dès 1941, Honegger s'intéresse de près à la vie musicale allemande. En novembre, il est invité à Vienne pour le festival international Mozart organisé par le ministère allemand de la Propagande sous la direction de Joseph Goebbels, l'un des plus proches collaborateurs d'Hitler. Des collaborateurs notoires tels que les compositeurs Florent Schmitt et Marcel Delannoy et le critique fasciste Lucien Rebatet sont également présents, et l'ensemble de l'événement est conçu pour célébrer la collaboration culturelle. Après son retour en France, Honegger a écrit des critiques enthousiastes de ses expériences et de la musique allemande qu'il avait entendue dans le magazine Comoedia, un journal rejeté par les résistants. Après cet événement, Honegger assiste à des réunions des autorités culturelles allemandes à Paris, se lie d'amitié avec un officier allemand et retourne à Vienne en février 1942 pour participer à un festival à l'ambassade d'Allemagne pour Heinz Drewes, le chef du département de la musique allemande à Berlin. En 1942, Vichy l'adopte comme Français, malgré ses origines suisses, et lui consacre un numéro entier de la revue L'information Musicale. Honegger a également joui d'une grande popularité pendant la guerre, car son style musical, même avant la guerre, faisait le lien entre les traditions françaises et allemandes. Cela correspondait bien aux idéaux culturels allemands, car cela montrait le potentiel créatif de la collaboration avec d'autres pays européens. En juillet 1942, les Allemands ont autorisé un festival d'une semaine pour commémorer le 50e anniversaire de Honegger en reconnaissance de sa musique.
Tout cela dresse un portrait très méfiant du compositeur. Cependant, nombre de ces actions peuvent être excusées ou comprises. Tout d'abord, il convient de rappeler que Honegger était suisse et donc officiellement neutre dans la guerre. En 1939, il s'était prononcé contre la guerre, annonçant dans un journal qu'il organisait un comité en faveur du pacifisme. Son ouvrage La Naissance des Couleurs, écrit juste au moment de la chute de la France en mai 1940, contient ces dernières lignes exprimant son désir de paix
Unissez-vous, o peuples de la terre
Fraternisez dans la blanche lumière ... ;
Et que vos voix fraternelles s'unissent
Dans cette paix que donne la justice
(Unite, people of the earth
Fraternise in the white light ...
And let your brotherly voices unite
In this peace that gives us justice.
En outre, bien qu'il ait eu la possibilité de s'enfuir en Suisse, il est resté en France, écrivant : "Je ne suis pas un rat qui déserte un navire en train de couler". Le voyage à Vienne en 1941 a peut-être été l'occasion d'exporter le manuscrit de sa 2e Symphonie. En effet, peu après ce voyage, les autorités allemandes lui ont accordé des visas de sortie pour des tournées de concerts en Europe, qu'il a utilisées pour promouvoir sa propre carrière en faisant tourner sa "Pacific 231", une œuvre qui était en fait considérée comme de la "musique dégénérée" par les nazis. Il a également écrit à propos de ses rencontres avec des officiers allemands : "Se rendre dans le camp de l'ennemi ne signifie pas automatiquement que l'on soutient sa cause".
D'autres preuves ont été apportées pour innocenter Honegger. En 1941, nous savons que Honegger s'est engagé dans la Résistance. Il a rejoint le groupe Front National des Musiciens après que sa défense de la musique française dans Comoedia ait attiré leur attention. Il ne montre aucun signe d'antisémitisme, poursuivant sa fidélité indéfectible à Milhaud et, en décembre 1940, mettant en musique le psaume 140, qui décrit le retour d'exil des enfants d'Israël. Il s'implique également dans les films de la Résistance avec Pierre Blanchar, responsable du cinéma de la Résistance, en écrivant la musique de Secrets et Un Seul Amour en 1942-1943. Sa 2ème Symphonie a également été saluée comme une œuvre de la Résistance. Elle a été écrite alors que Paris était envahi et passe de la lamentation à l'oppression, puis à la détresse, suivie d'un soulèvement énergique montrant que l'homme n'est pas vaincu, et enfin d'un choral de trompettes exprimant à nouveau l'espoir. L'œuvre a été jouée dans des villes du monde entier pendant et immédiatement après la guerre, et a été perçue comme un message universel de liberté. Cependant, rien de tout cela n'était suffisant pour la Résistance elle-même. En 1942, un rapport interne du Front National des Musiciens indiquait que tout allait bien, "sauf un cas de collaborateur à Comoediaavec des illusions". (Sauf un cas de collaborateur à Comoediaavec illusions). Il s'agit d'une référence claire à Honegger. Ce dont nous ne serons jamais sûrs, c'est si la Résistance croyait vraiment que Honegger collaborait, ou si elle avait tellement peur d'être découverte qu'elle devait l'exclure par sécurité.
Il semblerait que Honegger lui-même ait été tout aussi confus quant à sa position. Les biographes ont attendu avec impatience la découverte du "Chant de libération" de Honegger, qui a été interprété lors de l'un des premiers concerts après la Libération, le 22 octobre 1944 à Paris. Ce chant a fait écrire à l'écrivain français Maurice Brillant : "Pour notre joie et notre honneur, Honegger a été un compositeur de la Résistance". Cette œuvre a finalement été découverte en 2010, mais au lieu d'innocenter Honegger, elle l'incrimine peut-être. La mélodie de la chanson provient de la musique du film Joan of Arc sur lequel Honegger avait travaillé en 1942. Le personnage de Jeanne d'Arc a été attribué au Maréchal Pétain dans un acte de propagande destiné à diriger l'hostilité des Français vers la Grande-Bretagne, plutôt que vers l'Allemagne ou Vichy. En fait, Honegger a également écrit un oratorio sur le même sujet, Jean d'Arc au Bucher, que le gouvernement de Vichy a fait tourner dans 27 villes du sud de la France pour promouvoir le régime de Vichy. Il ne s'agit pas du tout d'activités de la Résistance, mais plutôt d'une collaboration. Cependant, Honegger a affirmé dans un catalogue de ses propres œuvres qu'il s'était approprié la mélodie de Jean d'Arc et l'avait transformée en chanson de la Résistance en avril 1942. Le nouveau texte qui accompagne la mélodie célèbre l'arrivée des Alliés et encourage les Français à participer à la libération de leur pays, en y mêlant des citations de chansons patriotiques telles que "It's a Long Way to Tipperary", "The Star-Spangled Banner" et "La Marseillaise". Cela signifierait que Honegger a mis en musique un texte de la Résistance dès le début de la guerre et qu'il a été loyal envers la Résistance malgré son association publique avec les nazis. Cependant, le manuscrit découvert en 2010 révèle en fait une autre date : avril 1944. Ses carnets de croquis de cette année-là montrent comment il a intégré des éléments de la Résistance dans l'ancienne mélodie. Au lieu de placer Honegger comme compositeur résistant, cela suggère qu'il craignait d'être accusé de collaboration, et qu'il a donc écrit une chanson résistante en mentant sur sa date pour fournir des preuves qui pourraient le sauver lors d'un procès. Peu après, en mai 1945, Honegger compose une autre chanson, "Hymne de la délivrance", qui imite de près les chants de la Résistance diffusés par la BBC sur Radio Londres, et deux mois plus tard, il l'intègre à la musique d'un film sur les résistants :
Ces activités tardives dans la Résistance suggèrent que Honegger n'était pas un collaborateur acharné, mais qu'il ressentait une sorte de culpabilité ou un besoin d'expier ses actions malencontreuses du début de la guerre. La vérité la plus probable est que Honegger était un égocentrique et un opportuniste qui a saisi toutes les opportunités qui se sont présentées à lui pendant la guerre, sans se soucier des implications politiques de ses actions.
Raymond Deiss
Une dernière personne liée aux Six qui mérite d'être reconnue pour sa résistance est l'éditeur de Milhaud, le héros méconnu Raymond Deiss. Quatre mois après l'Occupation, Deiss a lancé une feuille de protestation intitulée Pantagruel, qui pourrait être une référence satirique au roman français populaire du XVIe siècle de François Rabelais, Les actes et paroles horribles et terrifiants du très renommé Pantagruel, décrivant les actions du géant éponyme. Seize feuillets ont été publiés avant que Deiss ne soit déporté. Il fut décapité en prison à Cologne deux ans plus tard.
par Daisy Fancourt
Sources
Richard E Burton Francis Poulenc (Bath, 2002)
Roland Penrose Au service du peuple en armes (1945)
Benjamin Ivry Francis Poulenc (Londres, 1996)
Alan Riding And the Show Went On : Cultural Life in Nazi-Occupied Paris (Londres, 2010)
Honegger Je suis un compositeur (Londres, 1966)
Jane F. Fulcher 'Debussy comme icône nationale : du véhicule du compromis de Vichy au classique de la résistance française' The Musical Quarterly (Oct, 2011)
Myriam Chimenes ed.La Vie Musicale Sous Vichy (Bruxelles, 2001)
Harry Halbrech Arthur Honegger (Genève, 1995)
Pierre Meylan Honegger : son oeuvre et son message (Lausanne, 1982)
Bernard Grasset Georges Auric : Quand j'étais la (Paris, 1979)
Georges Auric Ecrits sur la musique "lettres françaises [clandestines]" ed Carl B. Schmidt (New York, 2009)