Jura Soyfer
Connu pour ses satires mordantes et ses cabarets, l’écrivain Jura Soyfer continua à critiquer le régime nazi durant sa période d’emprisonnement à Dachau et Buchenwald, jusqu’à sa mort à Buchenwald, à l’âge de 26 ans. Né le 8 décembre 1912 à Kharkov (Ukraine), Soyfer eut une enfance privilégiée. Après la Révolution, sa famille décida d’émigrer en Autriche. À Vienne, Soyfer s’intéressa de plus en plus à la politique, et s’engagea très jeune dans l’association des jeunes socialistes. Il partageait alors son temps entre ses deux sources d’intérêt : le théâtre et le journalisme politique, les combinant fréquemment dans des pièces comiques à teneur politique. Alors que ses premiers écrits célébraient explicitement le socialisme, il fut forcé au début des années 1930 de dissimuler ses convictions. Mais son public saisissait les sous-entendus politiques et ses pièces de cabaret antifascistes devinrent très populaires.
En tant que socialiste et Juif, il était inévitable que Soyfer fût arrêté. Il le fut tout d’abord accidentellement en 1937, mais la police décida rapidement qu’il devait être incarcéré, et il passa trois mois en prison. Moins d’un mois après sa libération, il tenta de fuir pour la Suisse en se faisant passer pour un touriste en partance pour faire du ski. Il fut appréhendé à la frontière et déporté à Dachau.
À son arrivée au camp, Soyfer fut assigné, avec le compositeur Herbert Zipper, au commando exténuant surnommé les « Chevaux chantans ». Alors qu’il peinait avec Zipper à tirer un chariot rempli de ciment, ils ressentirent l’importance de témoigner de leurs expériences pour ne pas les oublier. Zipper suggéra à Soyfer que le slogan nazi « Le Travail rend libre » (Arbeit macht frei) ferait une bonne base pour un chant. Quelques jours plus tard, Soyfer lui récitait un poème, que Zipper mit en musique. C’est ce qui deviendra le célèbre Dachaulied (« Chant de Dachau »).
À l’automne 1938, Soyfer fut transféré, avec Zipper et d’autres, à Buchenwald. Là, il fut actif en tant qu’interprète de cabaret, et nombre d’anciens détenus se souviendront de lui et de ses blagues. L’un d’eux témoigna :
Jura fut rapidement connu dans le camp […]. Il avait des idées qu’il ne coucha jamais sur le papier mais qui, jouées par quelques acteurs, finirent par donner une sorte de cabaret de camp. […] Bien que cela ait été strictement interdit, Jura, le fameux chansonnier viennois Hermann Leopoldi et d’autres mirent en places divers programmes dans lesquels ils nous rappelaient le pays ou qui se moquaient du fascisme.
Soyfer ne survécut pas plus de quelques mois à Buchenwald. Les arrivées massives de Juifs après le pogrom surnommé « Nuit de Cristal » (Kristallnacht) entraînèrent une surpopulation et les conditions devinrent insoutenables. Durant l’hiver 1938-39, une épidémie de typhus se déclara, tuant des centaines de Juifs affamés et affaiblis. Soyfer fut affecté au commando peu enviable des porteurs de cadavres, qui devaient envelopper les cadavres dans de couvertures et les transporter aux portes du camp. Comme presque tous ceux qui étaient assignés à cette tâche, il contracta le typhus et fut transporté à l’infirmerie. Alors qu’il devait être relâché du camp quelques semaines plus tard, il mourut en février 1939.
Sources
Cummins, P., 1992. Dachau Song: The Twentieth Century Odyssey of Herbert Zipper, New York: Peter Lang.
Hippen, R., 1988. Es Liegt in der Luft: Kabarett im Dritten Reich, Zürich: Pendo-Verlag.
Stompor, S., 2001. Jüdisches Musik- und Theaterleben unter dem NS-Staat, Hannover: Europäisches Zentrum für Jüdische Musik.