Partisans Juifs De Lituanie Et De Bielorussie

Durant la Seconde Guerre mondiale, nombre de Juifs européens défièrent l’oppresseur nazi en prenant une part active à la résistance. Cette guerre de partisans, menée par des forces irrégulières et clandestines en territoire ennemi, fut particulièrement importante dans les forêts denses et les marécages quasiment impraticables de l’Europe de l’Est.

En Lituanie et en Biélorussie, le premier appel à résister fut lancé à l’été 1941, lorsque les forces allemandes s’enfonçaient plus profondément dans les territoires soviétiques. Avec l’aide de bourreaux locaux, les Nazis regroupèrent bientôt les habitants juifs de ces territoires dans des ghettos et commencèrent les meurtres de masse. Mais malgré les dures conditions et la menace constante de la mort, des cellules clandestines de résistance virent le jour dans de nombreux ghettos.

Une fois qu’un Juif avait pu s’évader d’un ghetto, il pouvait tenter de rejoindre les partisans. Mais des dangers et des épreuves de taille attendaient ceux qui parvenaient à s’échapper pour rejoindre les bastions de partisans dans les forêts. Nombreux furent ceux qui s’y risquèrent, mais peu ceux qui réussirent. Ceux-ci, comme tout autre individu voulant rejoindre les partisans, devaient fournir leurs propres armes. Mais pour un Juif piégé dans un ghetto, acquérir une arme n’était pas chose aisée ; au-delà des risques et des efforts considérables, cela pouvait mettre en danger leurs familles, amis, voisins ou même la communauté. Ajoutons à cela que les Juifs habitaient plutôt des zones urbaines et manquaient des connaissances et d’aptitudes requises pour survivre dans les forêts de partisans : expérience du combat, familiarité avec la zone, et surtout relations de confiance avec la population rurale, l’alliée principale des partisans.

Il arrivait souvent qu’un Juif ayant réussi à s’échapper du ghetto et à rejoindre la forêt avec son arme soit forcé à rebrousser chemin et retourner au ghetto. De telles expériences malheureuses rappellent que même au sein des mouvements de résistance, les éléments antisémites ne pouvaient pas toujours être maîtrisés. Ce triste état de fait dissuada nombre de Juifs de fuir pour les forêts.

Certaines améliorations survinrent à l’été 1942, lorsque le Quartier général du mouvement des Partisans en Union Soviétique étendit son autorité sur la plupart des unités d’Europe de l’Est. Un nombre de plus en plus important de « camps de familles », dans lesquels les partisans juifs étaient acceptés avec leurs familles, fut par exemple établi en Biélorussie. De tels aménagements, qui sauvèrent plusieurs milliers de Juifs sans défense – femmes avec enfants, personnes âgées ou malades – furent maintenus dans la région jusqu’à la libération par l’Armée rouge à l’été 1944.

Mais ces changements intervinrent trop tard : la grande majorité de la population juive avait déjà été anéantie au milieu de l’année 1942. De fait, lorsque les Juifs étaient encore vivants, il leur était difficile de trouver des camps de partisans où s’enfuir. Et lorsque de tels camps existèrent, peu de Juifs avaient survécu pour pouvoir les rejoindre. C’est pourquoi le nombre de partisans juifs dans les forêts de ces régions ne dépassa jamais les 15.000.

Pour eux, la guerre des partisans servait des objectifs à la fois nationaux et personnels. D’un côté, elle contribuait au rôle actif que les Juifs européens jouaient dans le combat international contre le nazisme. De l’autre, elle satisfaisait leur désir de venger les meurtriers de leurs familles ou de leurs amis. Face à l’antisémitisme endémique et au dédain de leurs compagnons d’armes non-juifs, ils voulaient faire leurs preuves sur le champ de bataille. Et effectivement, nombre d’entre eux se distinguèrent en faisant dérailler des trains ennemis, bombardant des ponts ou s’engageant dans des combats au corps à corps. Un nombre considérable reçut des décorations pour bravoure ou héroïsme. Mais ni ruban ni médaille ne pouvaient atténuer le sentiment d’isolement que les combattants juifs ressentaient dans les bataillons à prédominance biélorusse, lituanienne ou russe.

Le potentiel de combat des volontaires juifs s’exprima le mieux dans des unités exclusivement juives de combattants. Établies en 1943, elles incluaient principalement d’anciens membres de mouvements sionistes ou de groupes de jeunesse qui s’étaient réorganisés clandestinement dans des ghettos. Conduites par des responsables talentueux, qui presque tous accordaient de l’importance à l’identité juive nationale, ces unités se distinguaient par le maintien de leur identité. Ceci se caractérisait par l’usage du yiddish pour les communications militaires mais aussi dans les formes d’expression artistique telles que la poésie et la chanson.

Les activités culturelles se poursuivirent même après que les unités juives auront été dissoutes ou intégrées, pour des raisons politiques, dans des unités cosmopolites. Dans celles-ci, comme dans les unités exclusivement juives, les combattants trouvèrent des moyens variés d’exprimer leur individualité. Un moment propice était la veillée du soir autour du feu. L’atmosphère de camaraderie qui y régnait facilitait l’expression par les participants de leurs espoirs, par l’intermédiaire du chant. Les paroles portaient principalement sur les thèmes du mal du pays, de l’inquiétude pour les proches restés au ghetto, du deuil des disparus et du désir de revanche.

Un écrivain, échappé du ghetto de Kovno et intégré à l’unité soviétique Smert Nemetskim Okupantam (Mort aux envahisseurs étrangers) se souvient ainsi de son premier soir autour du feu, au centre du camp :

Il était particulièrement touchant d’écouter tout un répertoire de ballades traditionnelles yiddish, dont certaines avaient probablement été enseignées au camp par des parachutistes juifs des régions de l’intérieur de l’Union soviétique. Il fut encore plus enthousiasmant d’y entendre deux chants en hébreu, « Harmonika » (« Accordéon ») et « Sovevuni » (« Elle m’entoure »), qui dans le ghetto étaient les hymnes de la résistance sioniste et qui furent apportés par des membres des mouvements sionistes HaShomer HaTzair (La Jeune garde) et Dror (Liberté).

Une nuit, alors qu’il attendait une livraison d’armes et de matériel soviétiques par parachutage sur un terrain improvisé dans les forêts de Rudniki, il rencontra des partisans du ghetto de Vilnius et, pour la première fois, les entendit chanter « Zog nit keynmol az du geyst dem letstn veg » (« Ne dis jamais que c’est ton dernier chemin »). Ce chant, écrit par Hirsch Glick, poète et combattant clandestin du ghetto de Vilnius, deviendrait plus tard l’hymne des partisans juifs.

Parfois, des soirées musicales étaient organisées par des artistes professionnels, comme ceux de la troupe Gop so Smykom. Cet ensemble regroupant diverses nationalités et rattaché la Brigade de Markov, à Gorki, donnait régulièrement des concerts de chants traditionnels et de danses populaires dans la forêt. Mais, ainsi qu’il en était chez la plupart des combattants, les partisans juifs préféraient par-dessus tout les chants se référant aux batailles en cours. Bien entendu la plupart d’entre eux étaient en russe mais certains – traduits par des interprètes expérimentés – furent chantés en yiddish. Sur les douzaines de chants, quelques-uns survécurent grâce à des individus de talent tels que Shmerke Kaczerginski.

Né en 1908, Kaczerginski était un poète et chansonnier reconnu bien avant la guerre, tant dans sa ville natale de Vilnius qu’au-delà, et qui se distinguait par des chansons sur l’oppression et les luttes de la classe ouvrière. Il poursuivit ses activités dans le ghetto de Vilnius puis plus tard pour la Fareynikte Partizaner Organizatsie (FPO, Organisation unifiée des partisans), l’unité de résistance clandestine du ghetto à laquelle il appartenait. Naturellement, nombre de ses chansons évoquaient le sort amer des Juifs du ghetto, mais aussi l’espoir dans le changement ou l’appel à la résistance. Plusieurs chansons, originales ou traduites du russe vers le yiddish, étaient très populaires auprès des partisans juifs. Il composa également de nouvelles chansons dans les forêts, écrivant même des paroles en allant au combat. Mais l’apport le plus significatif de Kaczerginski fut son activité de collecteur de folklore, que ce soit dans les ghettos, les camps ou les avant-postes partisans. Aux côtés du grand poète yiddish Avraham Sutzkever, il fut nommé historien de la brigade Vorochilov (du nom du commandant du Quartier général du mouvement des Partisans) et commença à coucher des paroles sur le papier alors que les combats faisaient rage. Ses premières publications parurent peu après la fin des hostilités à Varsovie, Paris et New York. Kaczerginski émigra finalement en Argentine, où il continua à publier des témoignages personnels et historiques sur la résistance juive durant la Seconde Guerre mondiale. Il mourut dans un accident d’avion près de Buenos Aires en avril 1954. Son œuvre – chansons, mémoires, histoires, et surtout sa collecte de musiques liées à la période de la Shoah – reste un témoignage majeur de la créativité dans l’adversité, un hommage à l’imagination et à l’ingéniosité des captifs des ghettos et des camps, et des partisans juifs dans les forêts.

Sources

 

Brown, T.A. & Levin, D., 1962. The Story of an Underground: The Fighting Organization of the Kovno Jews during World War II, Jerusalem: Yad Vashem.  

Levin, D., 1985. Fighting Back: Lithuanian Jewry's Armed Resistance to the Nazis, 1941-1945, New York: Holmes & Meier.